VEF Blog

Titre du blog : retourenasie
Auteur : retourenasie
Date de création : 07-02-2012
 
posté le 08-03-2012 à 01:54:21

Poissons (texte)

Nous avons commencé par être intrigués en dînant sur la terrasse face à la mer par une trentaine de bateaux sur l'horizon assez régulièrement espacés, chacun brillant de tous ses feux. Ils s'installent là après le coucher du soleil et ils sont encore là à minuit passé. De nos charmantes serveuses qui parlent un peu anglais, nous avons appris que ce sont les pêcheurs d'un village à une vingtaine de kilomètres au sud de notre resort qui partent vers seize heures tous les jours pour revenir vers sept heures le lendemain matin, et que toutes ces lumières servent à attirer le poisson dans les filets tendus entre les bateaux. Les quatre ou cinq premiers soirs les bateaux étaient fidèles au rendez-vous mais samedi leur nombre avait faibli et nous avons appris que la raison était que la lune était presque pleine : le stratagème consistant à éclairer la surface de l'eau pour attirer les poissons dans les filets n'est plus efficace du tout quand la lune brille de tout son éclat, et les bateaux restent au port car ils ne peuvent plus rien attraper.

Dimanche matin nous nous sommes faits conduire au village et avons assisté au retour des bateaux et à l'effervescence qui règne sur la plage où ils débarquent le poisson : sorti des cales dans des paniers de plastique le poisson est trié, essentiellement par des femmes, et mis à sécher, une grande partie sur la plage même. On dispose d'abord une couche de paille ou de foin puis de grandes bâches de plastique bleu percé de petits trous et c'est sur ces bâches que l'on met à sécher tous les petits poissons de quelques centimètres de long qui forment l'essentiel de la récolte. Il y en a tant d'ailleurs que l'on va en mettre a sécher toujours sur des bâches bleues dans les rizières en ce moment à sec (jusqu'à la mousson qui débute en juin). Les plus gros poissons sont eux un peu découpés, on leur enlève la tête et on les ouvre en deux après les avoir éviscérés et les morceaux sont mis à sécher sur des claies de bambou, ou carrément sur les toits des maisons et des appentis. Les très gros poissons (il prennent assez souvent des barracudas magnifiques de plus d'un mètre de long) font eux l'objet d'une découpe franchement artistique et l'on voit suspendus dans les boutiques de ces gros poissons qui ont toujours leur forme, de la tête à la queue, mais dont les chairs sont réduites à des lanières.

Tout cela était fort intéressant, mais mardi, nous sommes retournés dans ce village cette fois en bateau et c'était encore plus intéressant car les pêcheurs n'étaient pas sortis la nuit précédente pour cause de pleine lune et ce à quoi nous avons assisté c'est à une effervescence identique, sur la même plage, mais dont le but était de lavage (des paniers et des bâches) de démêlage et de réparation des filets, d'entretien et de calfatage des bateaux. La division assez stricte du travail de dimanche, transport et découpe par les hommes, tri et mise à sécher par les femmes était mardi tout aussi stricte, lavage par les femmes alors que filets et bateaux sont affaires d'hommes.

Et aujourd'hui nous sommes allés dans un autre village, celui-ci au nord, où nous avons vu se poursuivre les mêmes activités de lavage et d'entretien, par apparemment toute la population. Ce deuxième village est assez surprenant car toute son architecture de bois et bambou a été conçue pour ménager un maximum de surface pour mettre le poisson à sécher : c'est comme une très vaste terrasse de bambou à trois mètres du sol sous laquelle il y a des boutiques, des habitations, des entrepôts, des ruelles couvertes.

Je pense que nous avons vu fonctionner parfaitement un de ces systèmes techniques dont parle Bertrand Gilles (un histoire des techniques, dans l'encyclopédie de La Pléiade) où tout un ensemble de techniques, d'outils, de gens, de gestes conspire à un certain but, en l'occurrence se nourrir de poissons. Et il fonctionnait dans la bonne humeur birmane de gens qui semblaient heureux de nous voir déambuler, appareil de photo en main, au milieu de cette agitation au demeurant très contrôlée où chaque acteur a un rôle à jouer et le joue. Presque l'âge d'or !